Se détacher de ses biens matériels – à coups de marteau Courrier International – n° 541 – 15 mars 2001 Mon objectif est de détruire tout ce que je possède. J’ai fait un inventaire de tous mes biens matériels, 7 006 articles en tout. Télévisions, livres, disques, vieilles lettres d’amour et même ma Saab 900, tout ce que j’ai accumulé au cours de mes trente-sept ans d’existence va disparaître. Il va être difficile de me séparer de certains objets, par exemple la canadienne que m’avait donnée mon père il y a des années. Mais je suis un artiste, et j’ai pris une décision conceptuelle : tout déchiqueter et réduire en pièces. J’expose sur Oxford Street, à Londres, dans l’ancien bâtiment de C&A – un grand magasin, un peu comme celui de Woolworth qui a fermé il y a quelques semaines. J’ai placé toutes mes affaires sur un tapis roulant, classées en plusieurs catégories : V pour les vêtements, C pour la cuisine, A pour les objets d’art, etc. Douze personnes munies de scies et de marteaux se consacrent à ce travail de destruction. Tout ce que je possède sera détruit en deux semaines et transformé en un matériau granuleux qui ressemble à des galets. Notre manière de procéder est simple : s’il s’agit d’un livre, nous arrachons la reliure et déchiquetons les pages ; le s chaînes hi-fi, nous les démontons ; pour les chemises, nous enlevons d’abord les boutons et ensuite les manches ; quant aux disques, ils sont détruits avec un marteau. Les oeuvres d’art n’échappent pas à ce traitement, les miennes et celles de mes amis. J’ai en ma possession un tableau de Gary Hume, une oeuvre de Tracey Emin et des travaux de Simon Patterson et Ian Davenport. Avant de m’en prendre à leurs créations, je les ai appelés pour m’assurer qu’ils ne m’en voudraient pas. Ils m’ont donné leur feu vert : ils comprennent mon projet. A la fin de la semaine, quand ce que je possède aura été transformé en galets, je veux tout enterrer dans un centre commercial. Malheureusement, je n’ai pas encore trouvé un centre adéquat. J’envisage une sorte de cérémonie funéraire, mais sans rien de morbide, c’est une oeuvre très gaie. Je vais l’appeler Examen de la société de consommation. Dans un monde où tout est précaire, les gens se raccrochent à la seule chose qui leur paraît solide et stable dans la vie : la consommation. Je voulais comprendre pourquoi. Nous sommes tous confrontés à des choix de consommateurs, alors j’ai choisi de détruire tous mes biens. La beauté de cette oeuvre réside dans le fait qu’elle est exposée sur Oxford Street, une grande rue commerçante qui n’a rien à voir avec une galerie d’art. Les gens viennent avec des sacs remplis d’achats et parfois tombent sur des choses semblables à celles qu’ils viennent d’acheter. Je pensais que les gens réagiraient violemment. Aujourd’hui consommer est une religion et pour moi cette oeuvre était un blasphème. Mais, en fait, les gens sont très touchés et font preuve d’une grande sensibilité et de beaucoup de générosité. Cette oeuvre n’est pas seulement la mienne mais aussi la leur. Bien sûr je vais devoir à nouveau consommer. Je vis dans un pays développé où il est impossible d’éviter la société de consommation et ses travers. Il va falloir que j’achète du dentifrice et des vêtements. C’est inévitable. (Propos de Michael Landy)